Léonce est loin d'être un héros. Il est même de ceux que l’on préfère effacer de l’Histoire. Pourtant, il est bien là, de l’aube de la première guerre mondiale au crépuscule de la seconde, à se débattre dans une existence qui ne cesse de lui échapper. Esseulé, cet homme immature, à l’enfance gâchée, attend si peu de cette époque… Lui pardonnera-t-elle ses errances ?
Avec Léonce, une vie pour rien, David Ramolet dresse le portrait d'un presque rien, un invisible, traversé par la grande Histoire. Au-delà de l’aspect romanesque, l’auteur donne à nouveau la parole à l’un de ceux qui ont tant de mal à la prendre.
Extrait du livre :
Irène s’en veut parfois de ne pas vraiment aimer Léonce. Bien sûr, elle s’est parfois offerte à lui mais a vite prétexté sa grossesse pour échapper à ce qu’on appelle le devoir conjugal. Léonce ne lui en veut même pas. Lui dit qu’il l’aime. Enfin, il l’aime… à sa façon. Parfois, il parle de son fils. Il promet qu’à sa naissance, il trouvera un travail plus rentable et qu’ils pourront quitter ce taudis. Irène n’y croit pas. Le peu qu’il gagne est retenu pour le loyer. Le reste est dépensé au bistrot. C’est Irène qui fait bouillir la marmite.
Elle est quelquefois touchée par leurs élans de tendresse. Peu de temps après être venue vivre avec lui, alors qu’ils étaient couchés, elle avait eu besoin de le prendre dans ses bras et de le serrer tout contre elle. Pas pour faire l’amour. Cette fois-là, c’était autre chose ; comme une envie de le protéger. Elle n’avait pas réagi immédiatement en entendant doucement gémir. La tête collée contre son sein, Léonce pleurait comme un enfant.
-Pourquoi tant de chagrin ?
-J’suis bien, là…
-Alors, arrête de pleurer…
-Mais j’pleure pas !
Ce soir-là, Irène s’était demandée si l’amour véritable ne ressemblait pas à ça. Physiquement, Léonce n’était pas vilain garçon, loin de là. Mais surtout, il était unique, sensible, naïf. Tant pis s’il buvait beaucoup, manquait de courage et si souvent de discernement. Même s’il n’en parlait jamais, Irène savait qu’il avait eu un passé difficile et que tout ce qui lui avait manqué dans son enfance était perdu pour toujours. Elle pouvait se plaire à essayer de le rendre heureux mais c’était simplement impossible.
Notes perso :
Léonce, une vie pour rien est un roman qui me tient particulièrement à cœur. Comme s’il traînait dans mon esprit depuis des années, le sujet s’est imposé à moi. Il y a longtemps que j’avais envie d’écrire l’histoire d’un homme, abîmé et abandonné depuis l’enfance, qui tente d’exister dans la tourmente d’un monde qui lui échappe. Depuis toujours, la période de l’entre-deux-guerres et de l’Occupation me fascine. La vie d’un pauvre garçon, traversé par l’Histoire, qui n’a évidemment aucun recul sur sa propre existence et sur les événements qui se jouent, est fondamentalement banale mais elle ressemble tant au quotidien de ces femmes et ces hommes qui cherchaient simplement à survivre. C’est bien connu, l’Histoire est écrite par les vainqueurs… Dans une autre époque, personne n’aurait fait attention à Léonce.